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Histoire du Konpa dirèk

(suite de l’article de P.A. Dorisca)

samedi 20 octobre 2007

Aux origines d’une expression musicale très variée suite...

La colonisation

Lorsque les Espagnols débarquent à Haiti (l’île montagneuse) le 5 décembre 1492, ils trouvèrent l’île merveilleuse et la dénomma Hispaniola (la petite Espagne). Ils pensèrent avoir atteint une région inconnue des Indes et ils donnèrent le nom d’indiens aux habitants de l’île, qui les accueillirent avec bienveillance. ale suis en grande amitié avec le roi de ce pays au point qu’il se fait honneur de m’appeler son frère et de me traiter comme tel, écrivait Colomb en 1492.

Nous savons par le biais de chroniqueurs de l’époque et aussi par les collectionneurs précolombiens que la civilisation des Caraïbes n’était pas aussi développée que celle des Aztèques du Mexique et des Incas du Pérou. Néanmoins ils avaient atteint un degré assez élevé de civilisation. Leurs poètes ou sambas composaient de charmants poèmes appelés areytos que les Indiens disaient sur le ton chantant au rythme du tambour le mayohuacan.

Source : association "KAYENO" 16,Village amérindien "Sainte Rose de Lima"La surprise de la découverte passée, les conquistadors ne tardèrent pas à asservir la population indienne qui fut vite décimée par les travaux très durs que leur imposent les Espagnols et par les maladies amenées d’Europe. L’anéantissement systématique de la population indienne ne permit pas aux chants indiens de parvenir jusqu’à nous. L’unique pièce musicale, considérée comme un hymne guerrier serait ce fameux refrain chanté à l’assaut des forts espagnols par les Caraïbes : "A-ïa Bombé lama samana quana".

Après l’extermination des aborigènes remplacer la main d’ouvre indienne par les conquistadors espagnols, pour qui diminuait, encouragé par le prêtre Bartholomé de Las Casas, importèrent des noirs d’Afrique 1503. Ainsi débuta la traite des noirs qui allait déverser dans le nouveau monde des millions de Noirs arrachés sur le sol d’Afrique.

Puis vinrent les premiers aventuriers français qui s’établirent au Nord de l’île jusqu’à ce que par le traité de Ryswick, signée en 1697, leur cédât la partie occidentale de l’île qu’ils dénommèrent Saint-Domingue. Les Français intensifièrent la Traite des Noirs commencée par les Espagnols pour les besoins de la colonie en pleine expansion.

Les esclaves importés d’Afrique en très grand nombre étaient d’originel divers, Moreau de Saint-Rémy a recensé en 1789 une trentaine d’ethnies dans la colonie de Saint Domingue dont parmi les plus représentatives Sénégalais, Bambaras, Mandingues, Sobos, Kangas, Aradas, ou radas, Caplons, Fons, Mahis, Ibos, Nagos, Congos, Mayombés. Du brassage de ces tribus et au contact de la culture européenne est née une culture, une langue le créole, une religion (le vodou).

Source : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigneTandis que les autres composantes de la société saint-dominguoise reproduisaient les travers et les formes musicales de la Métropole, les infortunés fils d’Afrique malmenés retrouvaient un consolation momentanée dans la bamboula, ces complaintes toujours tristes qu’ils fredonnaient dans leur grande misère. Mais surtout sous le couvert de conversion au catholicisme imposée par les Blancs, les Noirs ont pu conserver leur religion ancestrale avec ses chants et ses danses selon les rites principaux : petro, nago et rada, qui forment le culte vodou, un composant intime de la vie du peuple haïtien.

La musique vodouesque

La musique vodouesque, d’essence africaine, intègre les prières, les chants, les danses et la musique instrumentale. Elle est soutenue par un accompagnement rythmique dont les instruments peuvent être divisés en deux groupes : les idiophones et les membraphones. Les idiophones sont de trois sortes : le ogan, la clochette et l’asson ? Les membraphones sont composés d’une batterie de tambours : l’assotor (le plus grand), le manman, le second et la boulah (rite rada).

Source : http://agoras.typepad.fr/ regard_eloigneIl ne faut pas non plus négliger le fait que cette musique a contribué à galvaniser, électriser le courage des esclaves dans leurs luttes pour la liberté.

L’indépendance

C’est aux accents de musiques militaires, d’orchestres, de danses, de chansons que fut célébrée l’indépendance d’Haïti le premier janvier 1804. Les colons avaient permis aux esclaves noirs d’étudier la musique européenne. Chaque habitation possédait ses Nègres-artistes employés pour le plaisir de leurs maîtres. Déjà en 1791, Toussaint Louverture, à la tête d’une petite armée bien organisée, avait sa fanfare. Selon le musicologue haïtien Constantin Dumerve, ce corps de musique avait accompagné le gouverneur Louverture à l’occasion de la remise du Môle Saint Nicolas au général anglais Maitland en 1798.

Les gouvernements qui se sont succédé à la suite de l’indépendance s’éaient fait un point d’honneur de promouvoir la musique dans le pays. L’Ecole Nationale de Musique, la première du pays, fut crée le 20 Janvier 1859 (Moniteur 1860) par les soins du Président Nicolas Geffrard qui composa lui-même la musique de l’hymne national d’Haïti, la Dessalinienne. Par la suite, les écoles se sont multipliées à travers le pays. On assista à une véritable explosion de la musique savante.

contredanseLa création de Petit Séminaire St Martial en 1865 vient compléter ce dispositif qui eut pour résultat un foisonnement de musiciens de grand talent dont les noms sont parvenus jusqu’à nous. Ce sont les Occide Jeanty, Julien Courtois, Nicolas F. Geffrard, Lyncée Duroseau, Théramène Ménès, Fernand Frangeuil qui a révolutionné la meringue haïtienne. Du repertoire très riche de ces talentueux musiciens, qui cultivaient avec succès des genres musicaux comme la valse, le menuet, la meringue, la marzurka, la marche, la polka, nous retiendrons l’excellente méringue, encore très populaire en Haïti, "Choucoune" (musique de Michel Mouton, paroles du poète-musicien Oswald Durand).

Le bal haïtien, la méringue et le compas

On ne peut parler de la musique haïtienne sans relater la tradition des bals en Haïti. La musique a toujours été synonyme de danse depuis le temps des tournées nocturnes des esclaves au fond des forêts de Saint Domingue jusqu’à nos jours. Le bal étant le principal loisir organisé du pays, les Haïtiens de toutes catégories sociales ne désemplissaient ces lieux de danses qui ont contribué au développement de la musique populaire des années 60.

Webert SICOTAprès le règne de la meringue est apparu un nouveau rythme, le compas : innovation rythmique apportée par la compétition musicale entre deux musiciens d’exception, Webert Sicot et Nemours Jean Baptiste. C’est en effet à la fin des années 50 que ces deux comparses après avoir débuté et joué dans "L’Ensemble aux calebasses" (du nom d’un night club de Mariani dans banlieue sud de Port au Prince) fondèrent chacun de leur coté un groupe musical le "Compas Direct’’ pour Nemours Jean-Baptiste et la "Cadence Rempa" pour Webert Sicot.

Nemours Jean-BaptisteDe cette lutte musicale fratricide, c’est le "Kompas direct’’ qui a survécu. Cette musique, vouée à la dalle et à la détente, basée sur une formule rythmique que certains disent proche du merengue dominicain d’autres du "Calypso’’, a fait danger toute la population : les pauvres des bidonvilles et la bourgeoisie des quartiers riches. Et pendant longtemps, cette musique a été le seul moyen d’expression de tout un peuple vivant sous le joug dictatorial des Duvalier.

Le dictateur a tenté d’utiliser la popularité de ces ensembles musicaux et de leur nouveau rythme pour alimenter sa propagande. Les meringues carnavalesques "Min djet la’’ (1965) de Webert Sicot et ’’Tou limin’’ (1965) de Nemours Jean-Baptiste chantent les nouvelles initiations électriques et l’arrivée des avions à réactions à l’aéroport international que venait d’inaugurer le dictateur.

Par la suite, toute une pléiade de talentueux musiciens vont suivre les sillons tracés par ces prestigieux aînés, pour perpétuer un mouvement musical qui inondera toutes les Caraïbes, l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Afrique. A la fin des années 60, les orchestres tels que les Shleu-shleu, les Gypsies, les Difficiles, Ambassadeurs ont remplacé les formations de Nemours et Sicot. Ces groupes, appelés mini-jazz, étaient composés de deux guitaristes, d’une guitare basse, d’une batterie, d’un saxophone alto et d’un chanteur, et avaient fait le bonheur des mélomanes.

Avec les Skah Shah, Tabou Combo, DP Express, Frère Déjean, Coupé Cloué, Bossa Combo, Magnum Band, System Band Tropicana, Septentrional, la musique haïtienne exercera un véritable leadership dans les Caraïbes. Au point que les musiciens antillais durent fonder une association de défense des artistes locaux. Des musiciens très talentueux s’illustrèrent pendant période : Rosini Jean-Baptiste dit ti Manno, Gesner Henri (le roi Coupé) et les autres ont contribué à l’évolution de cette musique dansante destinée à distraire le peuple, mais qui porte une véritable identité haïtienne. Nous y retrouvons beaucoup de traits de la culture haïtienne

Nous ne pouvons non plus passer sous silence le fait que cette musique populaire a su à sa manière, participer à la lutte du peuple haïtien contre la dictature des Duvalier. Les textes sarcastiques des troubadours comme Manno Charlemagne (Jebede, 1979), Beethova Obas (Le chant de la liberté), la poésie tapageuse d’un Gérald Merceron feront trembler l’édifice duvaliériste.

Cependant, après avoir assisté à la fin des années 70, à la marée musicale antillaise (Guadeloupe, Martinique, NDLR) portée par les Grammacks, les Aiglons, et Exile One, la musique haïtienne a cédé à la puissante machine qu’a représenté le Zouk dans les années 80. Juste revanche, dira-t-on !! La nouvelle tendance de la musique haïtienne ("Nouvelle Génération’’) ne fait pas le poids. Et de plus en plus, la musique populaire haïtienne perd cette force identitaire qui la caractérisait. Il est aujourd’hui difficile de différencier certains groupes haïtiens d’un groupe antillais. La "nouvelle génération’’ s’aligne sur les mélodies antillaises. Les nouvelles techniques sont passées par là !

La musique haïtienne semble traverser une période de stagnation. Les "groupes racines’’ : Boukan Guinin, Boukman Expérience, comme par réaction à cette léthargie, ont remis au goût du jour les rythmes de la musique vodouesque et perpétuent à leur manière la musique populaire haïtienne.

Auteur : Pierre-Antoine DORISCA

BIBLIOGRAPHIE
- Métraux Alfred, La vaudou haïtien, Gallimard, 1968
- Bastide Roger, Les Amériques noires, Payot, 1967
- Boncy Ralph, La chanson d’Haïti, CIDIHCA, 1992

Article paru dans "Ecouter Voir", magazine d’information des professionnels de la musique, N° 44-45, Paris, août 1999

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